Le fonds des générations : il y a un peu de confusion
Depuis le début de la campagne 2022 (et depuis ce temps aussi), il y a beaucoup de faux liens avec le fonds des générations (FDG).
Objectifs du fonds des générations
Son but est de profiter de l’effet de levier. Si on a versé des sommes dans ce fonds, c’est qu’on croyait que le rendement de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) serait meilleur que le taux de la dette. Et ce fut le cas depuis le début, en moyenne, donc ce fut une bonne décision. On souhaitait que ce rendement supplémentaire aide à réduire le fardeau des prochaines générations.
Il a commencé en janvier 2007 et depuis ce temps, 12 milliards de $ (forme abrégée dans la suite du texte : 12G$) y ont été investis pour une juste valeur de 16G$ au 31 décembre 2021. On a donc fait un profit total de 4G$ réparti sur 15 ans. Cependant, il a fallu emprunter ces 12G$ et cela a exigé des intérêts. Sur 15 ans, le FDG a généré, en moyenne, un rendement de 6,3 % et un taux de dette de 3,1 %. Il a donc créé un rendement net de 3.2 %. En dollars, cela représente 2,1G$ (chiffre estimatif).
Ainsi, le FDG a donc permis de générer 2,1G$ de plus pour les prochaines générations. C’est un montant important mais il faut le mettre en perspective. Ce n’est pas la somme investie (12G$) ou la valeur (16G$) qui diminuent le fardeau futur mais ce rendement net des intérêts. Ce ne sont pas les sommes que l’on met dans le FDG ou sa valeur qui diminuent le fardeau futur, mais le rendement net des frais d’intérêt sur les emprunts qu’il a fallu faire pour invertir dans le FDG.
Dette du gouvernement
Lorsqu’on parle de la dette du gouvernement, il y a plusieurs façons de l’établir. La plus intuitive est la dette brute. Elle considère les dettes sur les marchés financiers desquels on réduit la valeur du FDG. Il y a aussi des montants liés aux régimes de retraite gérés par le gouvernement. Soyons donc conscient que la valeur du FDG diminue la dette brute. Cette nuance est à la base de nombreux mauvais raisonnements. Voici des chiffres au 31 mars 2022 :
- (+) Dette sur les marchés financiers 219 G$
- (+) Dette nette Régimes de retraite 12 G$
- (-) Fonds des générations ( 16 G$ )
- (=) Dette brute 215 G$
Versement au fonds des générations
Lorsqu’on fait un versement au fonds des générations (disons 5G$), sur le coup ça ne réduit pas la dette comme on le croit souvent. Il y a 5G$ de placement de plus dans le FDG mais aussi 5G$ de dette de plus. La dette brute du Québec ne change pas (c’est un moins et un plus). L’avantage souhaité du FDG est que les 5G$ à la CDPQ rapporte plus que les intérêts sur la dette liée à ces 5G$. En supposant des dettes à 4 % et un rendement à 7 % à la CDPQ, l’avantage sera de 150 millions (3 % de 5G$) après un an. On aura donc réduit la dette brute de 150 millions et non pas de 5G. Les prochaines générations viennent de gagner 150 millions et non pas 5G$.
Le fait de ne rien verser ou d’en verser moins ne change rien à la dette brute. Ça ne nuit pas aux générations futures pour la somme de 5G$ si on décide d’arrêter. Ça leur nuira de 150 millions sur un an si les chiffres ci-dessus se réalisent. L’avantage du FDG n’est pas égal aux sommes qui y sont versées mais au rendement excédentaire sur ces sommes (rendement moins intérêt).
Gestion de la dette en lien avec le fonds des générations
On entend parfois que l’argent dans le FDG pourrait plutôt servir à des fins plus utiles que la gestion de la dette. On aimerait prendre 5G$ du fonds des générations et faire un tel projet. Mais rien n’empêche de faire ce qu’on veut faire. Augmenter la dette de 5G$ ou enlever 5G$ au fonds revient au même. Dans le tableau ci-dessus, que l’on enlève 5G$ dans le FDG ou que l’on augmente la dette sur le marché de 5G$, dans les deux cas, la dette brute augmente de 5G$.
La différence, c’est que dans un cas, on augmente les intérêts sur 5G$ et dans l’autre on se prive du rendement sur 5G$. Qu’est-ce qui est préférable ? On peut en discuter, mais cela n’a rien à voir avec le projet de 5G$. Dans les deux cas, on fait le même projet et dans les deux cas, la dette brute augmente de 5G$. On n’économise pas en pigeant dans le fonds. Ces sommes ne sont pas un « coussin » d’argent pour le futur dans lequel on peut piger sans augmenter la dette. Que de mauvais raisonnements à ce sujet!
Si on juge, avec raison, que la question du climat est cruciale et qu’on veut investir 16G$ dans ce volet, faisons-le. Mais cela n’a rien à voir avec le FDG. Qu’on prenne l’argent dans le FDG ou qu’on emprunte sur les marchés, dans les deux cas, la dette brute augmentera de 16G$.
Rôle de l’état
On dit parfois que ce n’est peut-être pas le rôle de l’État d’investir des sommes sur le marché financier dans le but de faire du rendement. On parle de spéculation souvent. Il y a quelques points à soulever ici
- Le mot spéculer est trop fort. On spécule lorsqu’on prend un risque important dans un portefeuille concentré. Ce n’est pas le cas de la CDPQ, qui utilise un portefeuille très équilibré et non concentré.
- Si on n’aime vraiment pas le FDG, ou si on croit que le rendement de la CDPQ sera inférieur aux taux de la dette dans le futur, l’option est de s’en servir pour payer la dette. Et cela n’a rien à voir avec les projets ou promesses électorales. Ce sont deux choses différentes.
- On fait souvent une fixation sur le FDG (16G$), alors qu’il y a des centaines de G$ gérés par la CDPQ pour financer la RRQ, le RREGOP et autres choses. Dans tous les cas, le but est de profiter de l’effet de levier. Merci M. Parizeau. Si on croit que le gouvernement ne devrait pas faire de placement, on devrait aussi prendre toutes les sommes gérées pour le gouvernement par la CDPQ et rembourser la dette si c’est vraiment la meilleure chose à faire. Pourquoi se limiter à 16 G$ ? C’est la même poche tout ça. Soyons cohérent. Le vrai critère de décision, c’est la différence entre l’estimation future de ces deux chiffres : le taux d’intérêt futur de la dette par rapport au rendement futur attendu de la Caisse. Les autres considérations sont « accessoires » et de nature politique, comptable ou légale.
La CAQ a indiqué qu’elle allait financer ses promesses, entre autres, en versant moins de sommes au FDG. Cela n’est pas du tout cohérent ou logique! Que l’on verse 100G$, 20G$ ou rien du tout dans le FDG ça ne change pas la dette brute, comme indiqué ci-dessus et cela n’a rien à voir avec les déficits futurs liés aux promesses. À la marge, les promesses seront toujours financées par une hausse de la dette et cela n’a strictement rien à voir avec les versements au FDG.
Fonds des générations : un problème « comptable »
La confusion vient d’un problème « comptable ». Les versements au FDG augmentent le déficit lors de la présentation des budgets annuels du gouvernement mais cela n’a pas de substance car en fait, c’est un plus et un moins[1]. Le versement au FDG augmente la dette toutefois les placements diminuent la dette brute à son tour par la suite. D’ailleurs, la plupart des analystes regardent le déficit avant les paiements aux FDG pour bien évaluer les résultats d’une année. En versant moins de sommes au fonds des générations, le déficit « officiel » présenté au public aura « l’air » moins grand mais c’est un trompe-l’œil (car il y aura aussi moins de placements).
Simple stratégie électorale de la CAQ ! Cela ne change rien aux faits que les promesses vont augmenter la dette brute. Si une promesse coûte 2G$ et qu’on réduit les versements au FDG de 2GS, l’effet net sur le déficit présenté au public sera de zéro en raison du jeu comptable, mais, dans les faits, la dette brute du gouvernement augmentera de 2G$ en raison de la promesse. Une personne gagne 5000$ à la loterie. Elle avait l’intention de faire un placement avec l’argent mais elle s’est ravisée et elle a décidé de faire plutôt un super voyage de deux semaines. Elle s’est dit : ça revient au même, dans les deux cas, je fais un chèque de 5000$. C’est exactement de cette façon que raisonne le gouvernement avec le FDG et les baisses d’impôt! Et je n’exagère pas.
Un versement au FDG est déjà lui-même financé par la dette. Comment peut-il financer lui-même autre chose ?
- Si on verse 5G au FDG, on emprunte 5G sur les marchés pour financer ce placement
- Si on réduit le versement à 3G, on emprunte 3G sur les marchés. Il n’y a absolument aucune autre somme disponible pour « financer » les baisses d’impôt. Il n’y a pas un 2G qui apparait tout à coup pour financer les baisses d’impôt
Personnellement, je déteste quand on tente de jouer comme ça avec des chiffres sans qu’il y ait de substance. Est-ce par ignorance ou par manipulation? Je ne le sais pas, mais dans les deux cas, c’est grave. Si le ministre veut baisser les impôts, qu’il le fasse en disant clairement que cela va augmenter la dette du même montant et non pas qu’il tente de jouer avec les mots en faisant croire que cette baisse n’implique pas de dette supplémentaire avec un soi-disant lien avec le fonds des générations.
Les sommes injectées dans le FDG proviennent des redevances d’Hydro-Québec et d’autres sources. Mais en réalité, on peut y mettre ce que l’on veut. Tout cela est la même poche. On peut aussi arrêter ou diminuer les paiements comme le montre la position de la CAQ. L’Assemblée nationale est souveraine !
On voit parfois une distinction entre la valeur comptable et la juste valeur marchande du FDG. Seule la valeur marchande est pertinente à une discussion financière.
Faux raisonnements
En conclusion, sur les faux raisonnements au sujet du FDG :
- L’avantage pour les futures générations, ce ne sont pas les sommes que l’on met dans le fonds, mais la différence entre le rendement du fonds des générations et le coût de la dette.
- Si on cesse les versements au FDG, la conséquence pour le futur n’est pas les 5G$ que l’on ne verse pas, mais le rendement perdu sur ces 5G$ net du coût d’intérêt
- Le fait de diminuer ou d’éliminer les versements au FDG ne contrebalance pas le coût des promesses faites par ailleurs. Les promesses sont toujours financées, à la marge, par une augmentation de la dette, peu importe ce que l’on fait avec le FDG.
- On n’économise pas en pigeant dans le FDG. On n’a pas plus de revenus si on pige dans le FDG. On ne se prive de rien si on laisse l’argent dans le FDG. Ces sommes ne sont pas un « coussin » d’argent pour le futur dans lequel on peut piger sans augmenter la dette.
- Si on veut vider le FDG, pourquoi alors laisser les autres sommes en gestion à la CDPQ? C’est la même poche et c’est le même objectif pour ces placements.
Paiement de la dette
Dans un autre ordre d’idées, Il y a trois ans, avec d’anciens collègues du cabinet BGY, nous avons produit une lettre ouverte sans aucune allégeance politique sur cette question du FDG et sur l’erreur de la CAQ (qui suivait une décision des libéraux) de sortir 10 G$ du fonds pour payer la dette. Au 31 décembre 2021, cette erreur a coûté 1 milliard aux contribuables (disons 800 millions selon les marchés actuels de 2022 … on verra pour la suite). Oui, un milliard pour quelques coups de crayon! https://bgy.ca/wp-content/uploads/2019/03/fdg2019.pdf .
Un autre point qui m’énerve, c’est la différence que fait le ministère des Finances entre la dette actuelle engendrée par des déficits annuels passés en comparaison à celle liée à des actifs qui servent sur plusieurs années (ce volet est aussi abordé au bas de la page 8 du texte ci-dessus). La première devrait être remboursée, mais pas forcément la deuxième. Ridicule! Quand on parle du passé, cette distinction est inutile. Une dette est une dette. Que l’argent ait servi à sauver la vie d’un enfant, qu’elle provienne d’une mauvaise soirée au casino ou qu’elle soit liée à l’achat d’une maison ne change rien dans la décision de la payer ou non. La question est toujours la même : où l’argent travaille-t-il le plus fort ? Payer la dette pour économiser des intérêts ou utiliser l’argent dans un placement à la CDPQ (ou, pour un particulier, dans un REÉÉ par exemple).
Éric Brassard, FCPA, Retraité,
Courriel : [email protected]
Site web : www.ericbrassard.ca
LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/eric-brassard-fcpa-fca-pl-fin-62182120/
[1] Pour les comptables qui lisent ce texte, c’est comme si, dans les états financiers d’une société, on passait à la dépense un placement de 5G au lieu de la capitaliser à l’actif du bilan. Un versement au FDG n’est pas une activité d’exploitation. C’est un placement financé par une dette.
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