Synthèse-Analyse-Synthèse : économie et environnement

J’ai été prof dans un cours de cas nécessaire afin de devenir comptable agréé (CPA maintenant)  où les étudiants devaient écrire un rapport durant quatre heures sur toute sorte de problèmes de gestion. Je leur disais souvent : « Intéressant ce que tu dis, mais ce n’est pas ça le problème du cas. Une belle analyse dans une mauvaise synthèse!

J’ai utilisé des centaines de fois l’expression « Synthèse-Analyse-Synthèse » lorsque j’étais prof. Et encore plus entre collègues dans le cabinet où j’ai travaillé en planification financière intégrée. Même ma fille était très tannée de l’étendre quand je l’aidais à faire ses devoirs.

Dans tous les domaines, pour comprendre les problèmes, il faut d’abord voir la situation dans l’ensemble avant d’entrer dans le détail. Il faut comprendre le cadre théorique (comme celui de la fiscalité, de la finance, de l’économie, etc.). Il faut voir la forêt avant de regarder les arbres. Il faut connaitre ce qui limite l’analyse et les objectifs des intervenants. Je faisais une analogie avec mes collègues : réfléchissez, mettez les deux pieds sur le bureau, les mains croisées derrière la tête et voyez d’abord la situation globalement. Ensuite, vous pourrez passer des heures dans vos calculs. Et après l’analyse chiffrée, revenez à la vue globale.  Bref, Synthèse-Analyse-Synthèse. Global, détails et retour au global. J’avais aussi cette approche dans les conférences que j’ai données et dans les textes que j’ai écrits.

Revenons à l’environnement. Je suis abasourdi par ce que je lis parfois, en particulier de la part de certains politiciens ou de chroniqueurs. Ouh… ouh… On parle de survie de l’espèce humaine et du vivant en général, de conserver l’habitat et la capacité à vivre sur la Terre. C’est le temps d’écouter les scientifiques… pas juste quand ça fait votre affaire.

On parle de laïcité au Québec. À entendre certains politiciens et économistes, on croirait qu’ils pensent que l’univers a été créé uniquement pour l’humain, qu’ils seront toujours là et qu’ils trouveront une solution à tous les problèmes. Bref, ils auraient la vie éternelle. C’est à se demander qui sont les vrais intégristes religieux.

Faisons un peu de synthèse (source: l’excellent livre « Sapiens » de Yuval Noah Harari, sauf la dernière ligne)

 

Création de l’univers 13 800 000 000 ans
Création de la planète Terre 4 500 000 000 ans
Commencement de la biologie (la vie!) 3 800 000 000 ans
Derniers ancêtres communs des humains 6 000 000 ans
Révolution agricole 12 000 ans
Révolution industrielle 200 ans
La grande accélération (folie actuelle) 70 ans

Qu’est-ce qui est « normal » ? Ce qui se passe depuis 70 ans ou depuis 3,8 milliards d’années (ou 6 millions d’années si vous préférez)? On est tellement ancré dans la vie moderne que l’on tient pour acquis que la norme est ce que nous connaissons actuellement et que tout cela est juste la façon habituelle de vivre sur la Terre depuis toujours. Alors, quand il est question de changer nos habitudes, on crie que ce n’est pas réaliste, qu’il faut être pragmatique et notre ministre de l’Environnement nous dit : « on ne peut pas en faire plus ».  Tentons d’interpréter cette phrase de notre ministre. Nous avons quatre options, soit :

  • il ne comprend pas le contexte global (ou le sous-estime);
  • il est incompétent;
  • il est en conflit d’intérêts (élection à venir ou copinage avec les industries polluantes);
  • il pense que les emplois à court terme sont plus importants que la survie à long terme ou que les emplois à long terme.

J’espère au moins que c’est la première option …

Il y a 200 ans, on ne produisait pas de pétrole. Les humains vivaient quand même. Quand il dit qu’on ne peut réduire nos émissions de GES de plus de 37,5 %, il semble croire que le taux d’émissions actuel est « normal ». En fait, on pourrait réduire de 100 % à l’extrême limite (oui, oui, je sais, il y a d’autres sources de GES) !

Selon ce propos, on semble dire : « Nous, on a fait ce qu’on a pu, c’est à la nature à s’adapter à nous ». Si des scientifiques nous disent qu’il faut vraiment en faire plus, alors quelle est la conséquence de cette phrase du ministre? On disparait? C’est la fin de l’humanité parce que le ministre l’a dit? Un scientifique qui me dit qu’on ne peut aller plus vite que la vitesse de la lumière, je comprends. Un spécialiste qui me dit que cet avion ne peut pas faire plus que x km sans escale, je comprends. Ces deux exemples indiquent des limites objectives. Mais quand le ministre affirme qu’on ne peut pas en faire plus pour la survie de l’espèce, je suis abasourdi.

On dit souvent que la politique est l’art du compromis. Peut-être dans plusieurs cas, mais quand il est question de survie, il n’y a pas de compromis à faire avec la nature. Pour faire un compromis, il faut être deux à la table de négociation. La nature, cependant, ne négocie jamais parce que tout ce qu’elle fait est déjà parfait. Elle a 3,8 milliards d’années d’expérience. Les rainettes faux-grillons ont une place essentielle même si des chroniqueurs ridiculisent leur protection. Tout est lié et ça ne prend que la prétention extrême des humains pour tenter d’y changer quelque chose, alors qu’ils n’ont ni la vue d’ensemble ni les outils pour gérer autant de contraintes afin que l’équilibre se maintienne. Nous vivons dans un monde interdépendant, où le sort de chaque être, quel qu’il soit, est intimement lié à celui des autres.

En voici une autre bonne du ministre Dufour : « Québec met en garde le fédéral à propos de la sauvegarde du caribou : à vouloir sauver à tout prix l’espèce, on pourrait perdre des emplois ». Sans parler de celle-ci du premier ministre: « Oui il faut penser à l’environnement, mais pas au détriment de l’emploi ». Incroyable de lire de telles choses dites par des gens qui nous gouvernent. On ne peut que conclure qu’ils n’ont pas la vue d’ensemble de l’évolution des critères d’habitabilité sur cette planète. Ils restent ancrés dans les anciens paradigmes, ceux du siècle dernier.

L’air qu’on respire est parfaitement adapté à nous. Si le mélange gazeux change, on est cuit en quelques minutes. L’eau qu’on boit est parfaite depuis le début du monde vivant. Si elle devient polluée (ou remplie de plastique), on est cuit en quelques jours. La Terre nous nourrit depuis toujours. Si on la surexploite et on la remplit d’engrais chimiques, on est cuit. La forêt effectue son travail depuis toujours et si on continue à la détruire, on est cuit. Les océans jouent leur rôle parfaitement et si on les surexploite ou on les réchauffe, on est cuit. Les abeilles font un travail remarquable pour la pollinisation. Sans elles, on est cuit.

Tout cela n’a rien à voir avec l’économie et les emplois. C’est une question de survie de l’humanité. On devrait d’ailleurs arrêter de dire « problèmes d’environnement » ou « sauver la planète ». Ça serait rigolo d’entendre des politiciens dire que la survie de l’humanité est importante, mais pas au détriment de l’économie. La planète n’a pas besoin d’être sauvée. Elle est là depuis 4,5 milliards d’années et elle continuera son chemin durant longtemps. Qu’il fasse chaud ou froid, que l’air soit respirable ou pas, elle s’en fout royalement.

L’argent, l’économie, les compagnies et les frontières sont des fictions inventées par l’humain par commodité. Ces inventions ont leur utilité, bien sûr. Il n’est pas question de les éliminer. En fait, c’est qu’elles n’ont pas leur place quand il le temps de parler du vivant, de biodiversité et des critères d’habitabilité de l’humain sur la Terre. Dire que l’adaptation aux changements climatiques « coute cher » est simplement absurde/ridicule/ stupide/imbécile.  C’est juste une mauvaise compréhension de l’utilité de ces fictions. C’est quand même incroyable que dans ce monde inondé de notions financières et économiques, notre élite ne soit pas capable de répondre convenablement à cette question tellement basique : qu’est-ce qu’un cout?

Un marteau sert à cogner des clous. Si on s’en sert pour cogner sur la tête du voisin, ce n’est pas son bon usage, mais on continuera à produire des marteaux. C’est la même chose avec l’argent et l’économie. Ils ont leur utilité, mais pas pour tout. On peut les conserver, mais seulement pour ce à quoi ils servent vraiment.

Je n’ai rien contre l’économie. J’ai été dans le monde des affaires durant 40 ans. Cela reste une invention récente qui a certainement de nombreux bons côtés (santé, bien-être matériel, allégement de certains travaux, etc.), mais elle prend trop de place. À quoi serviront ces bienfaits, si, en bout de piste, cela nous mène à notre perte d’ici 100 ans par exemple? On n’a pas à revenir à l’âge de pierre. Il faut trouver un juste équilibre quelque part entre ces deux limites à respecter :

  • La limite supérieure qui est liée à ce que la Terre peut endurer (plus on attend, plus cette limite diminue).
  • La limite inférieure qui permet à chaque être humain de vivre dignement (et les autres êtres vivants aussi).

On ne respecte actuellement aucune de ces limites. D’un côté, on abuse de la Terre (le jour du dépassement en 2021 était le 29 juillet) en surconsommant et en polluant. D’un autre côté, il y a des milliards de personnes qui ne mangent pas à leur faim (et qui ont bien d’autres carences). Mais oui, Internet ne disparaitra pas. On aura encore des maisons. On pourra se transporter, on mangera bien, etc. Il faut juste s’adapter et cette adaptation exigera des moyens excessivement importants (radicaux, mais dans le vrai sens du mot « radical », qui signifie aller à la racine du problème et non dans le sens qu’on lui donne souvent comme violent, agressif, etc. Souvenez-vous de vos maths. Quel est le radical de 4 ? C’est 2. En effet, 2 est la racine carrée de 4).

Imaginez que vous volez au-dessus d’une grande ville, disons Montréal. Tentez de visualiser chacun des bâtiments. D’ici 10-15 ans, les électroménagers dans ces maisons seront à changer et à jeter. De même pour la plupart des meubles (divans, tables, etc.), des voitures/camions/motos, des vêtements et tout ce qui est électronique. Sur 100 ans, les bâtiments devront être rénovés/détruits/rebâtis. Comment pourrons-nous absorber tous ces déchets et reproduire tous ces biens? Maintenant, imaginez que c’est la même chose avec toutes les villes du monde. Ça donne le vertige! Avec une croissance économique réelle de 2 % par année, on aura doublé le PIB actuel pendant la décennie 2050. Oui, doublé ce que l’on fait déjà, qui est déjà trop!

Le manque de vue d’ensemble nous fait mettre la question environnementale sur le même pied que d’autres problèmes : l’inflation, le logement, la protection du français, la santé, etc. Je n’ai rien contre ces sujets et il faut s’en occuper, mais ils sont de niveau 2 sur l’échelle des priorités. Tout cela n’aura servi à rien si le problème de base de la survie de l’espèce humaine à long terme n’est pas la méga priorité. C’est comme quelqu’un en train de se noyer qui se préoccuperait de son portefeuille qui coule au fond du lac. Pendant ce temps-là, le gros projet de société de M. Legault et du ministre Éric Girard, c’est de rattraper notre retard (sic) économique par rapport à l’Ontario d’ici 15 ans. Wow! Quelle vision ! Je pense à ça chaque matin au réveil !

Les conservateurs du Québec ne sont pas mieux que la CAQ, loin de là. Voici deux extraits de leur programme.

  • « Les conservateurs sont des optimistes et non pas des alarmistes». Comme si c’était un choix! Du haut de leurs centaines de scientifiques aguerris membres de leur parti et qui ont fait leurs études en science dans une station de radio, ils affirment une telle chose. Qu’est-ce qu’un alarmiste? Si la maison brule et que quelqu’un crie pour faire sortir les occupants, est-ce un alarmiste? Si un médecin annonce un début de cancer à un patient, est-ce un alarmiste? En disant une telle chose, ils considèrent que les scientifiques se trompent. Ils ne se gênent pas pour le dire avec la suite de leur texte : « Nous tenons compte du nombre de prévisions catastrophistes formulées dans le passé qui se sont avérées être des modélisations simplistes et erronées. »  On attend toujours leur liste de ces prévisions simplistes … j’ai hâte de voir ce que le GIEC va en penser.
  • « Il est certain que le rythme des découvertes scientifiques, et leurs conséquences pratiques s’accélèreront par rapport au siècle précédent et décuplera nos capacités de réaction face aux changements environnementaux. L’adaptation aux changements sera toujours possible, encore plus demain qu’aujourd’hui. » Wow … quelle affirmation! La prétention de l’espèce humaine à son meilleur. L’humain est invincible et est plus fort que la nature. En lisant ça, je ne peux que penser à cette citation : « Le problème avec le monde, c’est que les gens intelligents sont pleins de doutes, alors que les *** (je vous laisse choisir le mot) sont pleins de certitudes. » D’une part, ils critiquent les scientifiques pour dire ensuite que ce sont eux qui trouveront les solutions. Belle contradiction!

 

Vous pouvez voir ce que pense Arthur Killer de cette certitude des conservateurs dans cette super vidéo scientifique et pédagogique de 30 minutes : https://www.youtube.com/watch?v=kLzNPEjHHb8 . Il aborde de façon scientifique ce que j’essayais de décrire dans un récent texte intitulé Planification de retraite et environnement https://ericbrassard.ca/planification-de-retraite-et-environnement/.

Il est intéressant de voir le film Déni cosmique (Don’t look up en anglais). C’est une parodie de la façon dont on gère les problèmes environnementaux. Dans le film, une catastrophe imminente met en cause la survie de l’humanité. Les dirigeants négligent d’abord le problème et ensuite, ils tentent de tirer parti d’avantages économiques de la situation. C’est ce que font nos politiciens avec l’environnement (exploitons le pétrole pour régler le problème nous disent Duhaime et Pollievre) ! Je ne vous dis pas comment se termine le film!

Oui, je sais, le Québec ne réglera pas le sort du monde. La question est de savoir si on veut faire partie du problème ou de la solution. Mais avant tout, arrêtons de nous comparer aux Chinois. Ils émettent moins de GES par habitant que nous et en plus, une grande partie de leur émission est liée à des produits exportés vers nous. Si on se limitait au Canada, le jour du dépassement en 2021 serait plutôt le 14 mars et non le 29 juillet. Avec la Chine, ça serait le 15 juin. Avant de donner des leçons aux autres ou d’attendre que les autres agissent (argument de loser), il faudrait se regarder en face et arrêter de croire qu’on est les « plus meilleurs » https://ericbrassard.ca/le-quebec-la-chine-et-le-charbon-aout-2022/ .

Pour qui faut-il voter le 3 octobre prochain? Ça m’apparait clair qu’il faut choisir le parti pour qui les questions environnementales sont les plus importantes. Rien de moins.

Pour finir, voici deux citations parmi mes préférés :

  • L’économiste Kenneth Boulding : « Celui qui croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. » (On pourrait peut-être ajouter quelques noms de politiciens!)
  • Albert Einstein : « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent! »

Vous avez d’autres éléments de synthèse ? N’hésitez pas à m’en faire part. Ça m’intéresse toujours.

Éric Brassard, FCPA, Retraité,
Courriel : [email protected] 
Site web : www.ericbrassard.ca
LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/eric-brassard-fcpa-fca-pl-fin-62182120/

PS : Merci aux auteurs des nombreux articles et livres que j’ai lus et aux conférenciers que j’ai écoutés dans les dernières années et les derniers mois. Leur vision et leur rigueur sont précieuses. En voici une liste non exhaustive : Hugo Séguin, Laure Waridel, Yves-Marie Abraham, André Gorz, Edgar Morin, Arthur Keller, François Delorme, Bruno Latour, Nikolaj Schultz, Pierre-Olivier Pineau, Johanne Whitmore, Philippe Bontems, Gilles Rotillon, Marc-André Viau, Élizabeth Kolbert, Éric Pineault, Ian Angus, Laurence Brière, Juste Rajaonson, Mélanie Busby, Louis-Gilles Francoeur, David Wallace-Wells, Richard Heinberg, David Fridley, Sylvain Gaudreau, Sébastien Bohler, Michel Lepesant, Éric Dupont, Fréderic Legault, Arnaud Theurillat-Cloutier, Alain Savard, Yuval Noah Harari, Hubert Reeves. Bien sûr, ce texte n’engage que moi.

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